Le pouvoir du
joueur
When the behavior of the computer is coherent and the results of
participation are clear and well motivated, the interactor experiences the
pleasure of agency, of making something happen in a dynamically responsive
world. - Janet Murray (http://inventingthemedium.com/glossary)
Jouer à Façade m'a poussé à réfléchir
sur le pouvoir du joueur dans les jeux vidéo actuels. Façade est un « drame interactif en un acte » datant de 2005
(offert gratuitement ici).
Le joueur prend le rôle d'un ami invité chez l'appartement d'un couple. Pendant
la visite, les membres du couple se disputent. Dépendamment des actions du
joueur, les amants peuvent régler leurs problèmes, se casser (pour diverses
raisons), mettre le joueur à la porte, ou ne pas avancer les choses. Ce sont
les possibilités que j'ai découvertes, en tout cas.
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Image de interactivestory.net |
Les personnages, régis par des intelligences artificielles,
se comportent différemment selon les actions, les choix et les paroles (tapés)
du joueur. Même si les graphiques sont simplistes et le jeu est de courte
durée, la programmation du jeu est extrêmement impressionnante. Le jeu explore
les interactions humaines et les relations interpersonnelles, ce qui est plutôt
rare pour un jeu vidéo. Et même si le thème est différent d'autres jeux, c'est
le pouvoir du joueur et l'histoire dynamique qui font du jeu une expérience
unique.
Et Façade,
quoique très impressionnante, n'est
que le début de l'immense potentiel des histoires dynamiques dans les jeux vidéo.
Dans la plupart des jeux où le joueur joue le rôle
d'un personnage humain, les actions possibles sont en grande partie physiques,
comme conduire une auto, escalader des bâtiments, couper ou tirer sur des
ennemis, nager, ainsi de suite. Des jeux vidéo sont entièrement conçus avec de pareils
mécanismes.
Si le gameplay
est à la base des jeux vidéo, ces mécanismes physiques ne limitent-ils pas le
récit des jeux vidéo? Les concepteurs cherchant à véhiculer une belle histoire
ne devraient-ils pas plutôt se pencher sur des mécanismes interpersonnels,
comme ceux en Façade?
L'immense
potentiel des histoires dynamiques
En comparant Façade
avec des jeux traditionnels et linéaires comme Assassin's Creed, il est intéressant d'examiner comment ils
véhiculent leurs histoires. L'équipe responsable des jeux AC compte beaucoup d'écrivains talentueux qui écrivent de bonnes
histoires fantastiques mélangées avec des faits historiques. C'est une des
raisons pour lesquelles je continue de jouer la série. Pourtant, même si les
histoires sont bonnes, ils ne sont pas dynamiques. Les jeux sont interactifs
par nature, mais le joueur peut seulement interagir avec le monde du jeu, et
non pas l'histoire. Encore une fois, la plupart des mécanismes de jeu
permettent seulement l'interaction avec le monde du jeu.
Je savais que des histoires interactives existaient,
mais Façade m'a vraiment montré leur
potentiel dans les jeux vidéo, le seul art qui permet et invite la
non-linéarité. Chaque joueur a sa propre expérience subjective, peu importe si
le jeu est limité ou non. Par exemple, même les joueurs d'un jeu linéaire comme
Super Mario Bros. pensent
différemment en jouant, ce qui se manifeste dans la façon que joue chaque
personne et comment il interprétera le jeu.
Maintenant que Façade
m'a montré l'immense potentiel des histoires dynamiques, je pense vraiment que
la vaste majorité des jeux vidéo modernes n'exploitent pas la puissance de
l'art des jeux vidéo. Si un film hollywoodien véhiculait son histoire avec des
textes, il ne serait pas surprenant d'entendre quelqu'un crier : « Pour
l'amour de Dieu, utilisez des images en mouvement pour véhiculer l'histoire! » N'est-ce
pas les images en mouvement qui définissent le cinéma? Pour la même raison, des
jeux vidéo axés sur leur histoire devraient véhiculer leur récit par des
éléments de jeu au lieu de cinématiques. C'est comme si les histoires de jeux
vidéo ignorent ce qui leur rend unique au lieu de l'exploiter.
Le collier de
perles
La plupart des jeux vidéo progressifs (dans lesquels
le joueur doit se rendre à la fin pour « battre » le jeu) peuvent
être représentés par un simple diagramme. Ça s'appelle la représentation du
collier de perles :
Les lignes (A) sont des sections non interactives (ou
très restreintes) qui font avancer le jeu, comme les cinématiques dans Assassin's Creed, Grand Theft Auto et
grand nombre de jeux populaires à gros budget. Ces lignes peuvent aussi représenter
des segments de jeu restreint que le joueur doit passer pour continuer, comme
les portes qui doivent être ouvertes par des personnages non jouables dans Half-Life 2.
Les cercles (B) représentent les sections où le joueur
a une sorte de liberté. Dans la majorité des jeux FPS, le joueur peut naviguer
les environnements avec une certaine liberté. Dans certaines parties d'Assassin's Creed, le joueur choisit
comment approcher et tuer ses cibles. Mais il faut toujours battre ces tableaux
ou tuer chaque cible afin de faire progresser l'histoire (à l'aide d'une
cinématique la plupart du temps).
Puisque j'étais curieux du fonctionnement de Façade, j'ai téléchargé son document guide,
Behind the Façade. Il a fallu 15
mille mots pour illustrer comment le jeu fonctionne. La structure du récit est
très complexe et ne se résume certainement pas par la représentation du collier
de perles. Voici un extrait du début du document qui résume le but des
concepteurs, un but qui mérite d'être poursuivi :
Videogames
excel at giving players high-agency experiences — that is, providing ample
opportunities for the player to take action and receive immediate feedback.
With Façade we wanted to create an interactive drama that provides the level of
immediate, moment-by-moment agency found in games, but unlike games, also
provides longer-term player influence over the plot itself.
Tu peux faire
n'importe quoi! Pour vrai!
On entend souvent que le joueur peut faire n'importe
quoi dans GTAIV. Mais en examinant le
jeu, l'histoire de Niko se déroule, en très grande partie, linéairement. Il est
vrai que le joueur choisit à qui envoyer des messages text, quelles missions
facultatives à entreprendre et en quel ordre compléter certaines missions;
toutefois, l'histoire est prédéterminée et le joueur ne peut pas la changer de
façon importante.
Ainsi, GTAIV
pourrait quand même être représenté par le diagramme du collier de perles (avec
un certain nombre de perles interchangeables et facultatives, bien sûr). J'aime
bien le jeu et je sais que c'est un jeu à gros budget parmi peu qui permettent
un peu de flexibilité quant à l'histoire (les jeux Bethesda auraient beaucoup de perles
facultatives/interchangeables!), mais je sais qu'il y a bien plus qui est possible
avec les histoires de jeux vidéo. Je ne crois pas que des jeux avec histoires
linéaires devraient disparaître, et je leur souhaite une bonne santé.
Toutefois, l'immense potentiel que m'a montré Façade me fait souhaiter que plus de concepteurs de jeu partagent la
même vision que ce drame interactif.
Il ne faut pas confondre la liberté du joueur avec la
liberté de l'avatar (le personnage jouable). En jouant à Façade, si je voulais dire quoi que ce soit à Grace ou à Trip, je le
disais, tandis que Niko parle, pas moi, en GTAIV.
Le joueur assume vraiment le rôle de l'avatar dans des jeux comme Façade. Par contre, le joueur ne fait
que regarder pendant que Niko prend charge pendant les cinématiques. En fin de
compte, vous ne pouvez pas faire n'importe quoi en GTAIV : vous faites ce que Niko veut pendant les sections
importantes d'histoire. Il est vrai que le joueur peut faire toute sorte de
choses drôles pendant les sections « perles » du jeu; cependant, le
joueur n'influe presque pas sur les lignes qui relient les perles. Façade m'a donné un plus fort sentiment
de pouvoir que GTAIV - peut-être même
plus que tout autre jeu.
L'avenir
Les concepteurs de jeu ont fait beaucoup de progrès
quant à l'interaction avec le monde du jeu. GTAIV
et Assassin's Creed offrent des
simulations très réalistes d'interactions physiques comme conduire et
escalader. Il est triste que le progrès du côté des histoires dynamiques n'ait
pas tant évolué.
Il y a quelques jeux populaires qui ont des histoires
créés par des mécanismes de jeu. The
Walking Dead réussi à faire des petits choix et actions sembler comme s'ils
comptent et façonnent la réaction des autres personnages. Braid est l'exemple d'excellence d'un jeu qui crée de la
signification avec ses mécanismes. L'histoire de BioShock dépend sur l'art des jeux vidéo même pour le point
culminant de son histoire. Et même si l'histoire principale de GTAIV n'est qu'un collier de perles
complexifié, des histoires uniques sont créées en interagissant avec le monde
du jeu. Le emergent gameplay de Minecraft fait en sorte que chaque
joueur prend part en la création de son expérience (http://www.fringfrangblog.com/2012/11/minecraft-and-emergent-gameplay.html anglais seulement, désolé!)
. N'importe quel jeu avec du emergent gameplay qui crée des histoires
est un pas dans la bonne direction.
Les jeux vidéo sont un jeune art. Je crois fermement
que les innovations futures seront dans le domaine des histoires dynamiques et la
création de mondes de jeu dans lesquels le pouvoir du joueur est favorisé au
lieu du graphisme et des cinématiques de pointe. Imaginez une suite à Skyrim dans laquelle le joueur peut
jaser avec les villageois au lieu de choisir des phrases d'une courte liste, et
que ces villageois se souviendraient des interactions antérieures. Imaginez un
jeu Grand Theft Auto où le joueur
peut se disputer avec un autre piéton de façon dynamique à cause qu'ils se sont
bottés, et que ce piéton réagirait à vos propos au lieu de cracher une réponse
prédéterminée.
Dans l'avenir des jeux vidéo, je ne veux non seulement
un jeu pour escalader des bâtiments et un jeu pour tenir des conversations
dynamiques : je veux un jeu qui offre les deux!